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Normand Laprise, notre chef toqué

J’ai mangé des oursins, du jambon fumé avec des bleuets arrosé de vinaigre balsamique, des macarons qui fondaient dans la bouche… Les petits plats servis pendant le lancement du livre du chef Normand Laprise « Toqué – Les artisans d’une gastronomie québécoise » ont volé la vedette. Les bouchées étaient exquises, jolies et surtout, inusitées. Voilà ce qui frappe dans la cuisine préparée par le chef Laprise et sa brigade : l’originalité, l’audace, la fraîcheur, l’éclat. « Ils ne sont pas élitistes, ce sont des artisans » a lancé Stéphan Bureau lors de l’événement de presse en parlant du chef et de ses deux acolytes, Christine Lamarche et Charles-Antoine Crête.

Normand Laprise parle de ses complices avec beaucoup d’amour et de respect. La première est copropriétaire du Toqué depuis les tout débuts, il y a 20 ans. « Normand est venu me voir pour me dire qu’il envisageait de monter un restaurant, raconte-t-elle dans la genèse du livre. Je lui ai dit tout de suite : ‘Si tu as besoin d’aide, fais-moi signe. Avec toi, l’aventure m’intéresse.’ Je me rappelle qu’il m’a regardée et qu’il m’a dit : ‘Mets ton manteau, on va chercher un local ! » Aujourd’hui, Christine s’occupe de la structure, de l’organisation du restaurant. « Elle est curieuse et intéressée par ce qui se passe en cuisine, elle est très ouverte, explique Normand Laprise. Nous n’avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre, j’ai une confiance aveugle en elle. Ça fait 20 ans que nous avons la même ligne de conduite ! »

Tout aussi essentiel au bonheur du chef et à l’équilibre du resto, son chef des cuisines Marc-Antoine Crête : « Il nous donne de l’énergie, de la créativité, dit le grand chef Relais & Châteaux. C’est lui qui veille au développement des plats, c’est le ‘patenteux’ du restaurant. » Plusieurs le voient comme le dauphin de Laprise. À 51 ans, le chef est loin de parler de retraite – mais on sent son souci d’assurer la continuité et la pérennité de l’entreprise. « Nous avons un savoir-faire qui s’est développé au fil du temps et qui est devenu la marque de commerce de Toqué, confie le père de deux fillettes et d’un garçon. Nous avons participé à l’identité culinaire québécoise. Il faut que ça continue.»

C’est dans cet esprit que le livre, une petite encyclopédie de 459 pages, a été créé. On y suit tout le processus du Toqué !, du producteur aux produits, de la cuisine à la table. « C’est un livre inclusif et généreux », souligne Charles Lapointe, de Tourisme Montréal. Avec ses recettes, ses techniques, conseils, fiches produits, portraits, histoires et anecdotes, Toqué ! est un bouquin à part, à cheval entre le livre de recettes et l’œuvre d’art. Abondamment illustré, Toqué! rassemble des photos de plats, mais aussi d’ingrédients, de producteurs, de paysages du Québec et de moments croqués sur le vif en cuisine. « Le livre est une photo arrêtée de notre vie de tous les jours, rappelle le chef qui a investi deux ans et demi à ce projet. Il montre comment on fait les choses, révèle les coulisses du restaurant et met en lumière les humains qui rendent ça possible.»

Parmi les dadas de Normand Laprise et de Charles-Antoine Crête, il y a la récupération alimentaire. « Le but, c’est d’en mettre le moins possible dans la poubelle », déclare M. Laprise. Son chef des cuisines en rajoute : « Le principe, c’est cooking from scrap. Faire de la gastronomie avec des truffes et du foie gras, c’est plate, c’est dull. Le défi, c’est d’utiliser entièrement et complètement un thon de 600 livres, de ne rien perdre et de ne rien tenir pour acquis. On se demande comment faire les choses – et comment les refaire. » Cela donne des plats comme des pelures d’asperges frites, retailles de rhubarbe, queue de flétan rôtie aux herbes, eau de fruit. On retrouve même, dans la section dessert, une glace à rien.

Stéphan Bureau parlait d’artisans; je dirais plutôt des artistes, un brin débridés, un brin délurés. Bref, toqués.

Questions éclair à un chef inspiré et inspirant

Vos conseils aux jeunes chefs ? Avant d’ouvrir son établissement, il faut s’assurer d’être prêt. Ne suivez pas les tendances. Arrêtez de regarder ce qui se fait ailleurs. Faites ce que vous avez envie de faire et faites le bien.

Le plat qui lui rappelle son enfance ? Un poulet rôti juteux avec une purée de pommes de terre.

Le meilleur plat que vous n’avez jamais mangé en voyage ? En Espagne, avec mon ami Xavier, il y a trois ans, nous avons mangé dans un restaurant où le chef faisait tout cuire à la grille… Un moment magique !

Un ingrédient fétiche ? Ces temps-ci, la tripe de morue ! On essaie de la cuisiner de toutes sortes de façons. Et l’argousier, qui est mon petit fruit préféré.

Les plats préférés de vos filles ? Béatrice mangerait juste des pâtes si elle le pouvait ! Elle adore les gnocchis. Juliette est gourmande, elle mange de tout, par exemple, du saumon bleu coupé en morceau ou de l’agneau, qu’elle mange avec les mains, elle gruge l’os (rires).

Vos adresses incontournables ? Je ne sors pas beaucoup alors quand je sors, je vais voir mes amis : Joe Beef, Martin Picard au Pied de cochon, Nick Hodge du Kitchenette, Derek Dammann du DNA, Daniel Vézina à Québec, la gang du restaurant Le Filet...

L’aliment avec lequel vous ne cuisinez jamais ? Le mauvais produit !

Toqué! – Les artisans d’une gastronomie québécoise est publié aux Éditions du Passage.

Crédit photo : Dominique Malaterre / TILT.ca

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