Manger en famille / Cuisiner en famille

Le gène de la cuisine

 

Au printemps dernier, j’ai appris que cuisiner en famille, c’est bien plus que de passer du temps ensemble : c’est aussi l’occasion de créer des traditions qui continueront d’évoluer au même rythme que nos familles.

Des Lefrançois, ma mère, ses sœurs et moi avons toutes hérité de la lippe, ce sillon sur le bord de nos lèvres qui nous donne l’air fâché même quand nous ne le sommes pas, et du gène de la cuisine. En tout cas, je pense bien qu’il s’agit d’un gène, parce que rien d’autre ne peut expliquer la lignée de cordons bleus qu’ont engendrée mes grands-parents. D’aussi loin que je puisse me souvenir, l’histoire de ma famille a toujours été une histoire de nourriture.

Le traditionnel cipâte gaspésien de ma grand-mère Béatrice, qu’elle préparait avec son amie Gertrude, est probablement le plus renommé du village, et il a nourri un nombre considérable de bedons au fil des années. Même mon amoureux, qui n’a aucun goût pour les repas de type « viande-patate-légumes », reconnaît que le cipâte de ma grand-mère est imbattable. Comme celui de ma mère d’ailleurs. (Enfin, c’est ce qu’il dit.)

Le cipâte n’est pas la seule recette de Béatrice à avoir parcouru les cantons. Il semble que ma grand-mère était aussi réputée pour ses cretons, qu’elle faisait un peu comme des rillettes, en faisant bouillir la viande dans un mélange de bouillon et de gras avant de l’effilocher soigneusement. Elle passait ensuite le tout au moulin à viande afin d’obtenir une texture crémeuse et tartinable dont tout le monde raffolait.

Ma tante Isabelle, elle, produit de célèbres desserts, parmi lesquels une pâte à tarte feuilletée à souhait, dont le secret réside dans la quantité astronomique de beurre qu’elle contient. Ma tante Mado, épaulée par son mari Raynald, est la spécialiste des beignes maison, qu’elle cuit en petite friture dans une poêle électrique. Ma tante Nathalie, elle, s’est chargée d’introduire de la nouveauté dans la famille, et elle a rendu toute la famille accro à sa salade grecque et à ses fameuses coquilles farcies au veau.

Quant à ma mère, c’est évidemment la meilleure cuisinière au monde, puisque c’est ma mère. Ce n’est pas parce que je manque d’objectivité : je pourrais faire bien des bassesses pour sa lasagne et son rosbif, mais mon amie Audrée n’a que de bons mots pour son jambon – en fait, elle en fait une véritable obsession, et mon amoureux peut sans problème se rendre malade en se gavant de ses desserts de Noël.

Même si j’ai toujours su que j’étais née dans une famille de bonnes cuisinières, ce n’est que lors de ma dernière visite chez mes grands-parents que j’ai découvert l’existence du gène de la cuisine. Ce dernier s’est manifesté en pleine nuit, autour d’un chaudron de cipâte que nous nous sommes retrouvées à couver, ma grand-mère, ma mère et moi, chacune craignant que la précédente ne se lève pas à temps pour éteindre le four. Ma grand-mère, alors diminuée par l’Alzheimer, n’en était pourtant pas à son premier cipâte. Nous aurions dû nous douter, ma mère et moi, que le gène de la cuisine était plus fort!

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